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Les machines de la colère : l’envers de l’écran lumineux (Marie-Andrée Binette)
19 mai 2023
Capsules science Nouvelles Grand public
Vous vous trouvez dans un restaurant en compagnie de votre sœur Carole. Alors que vous vous apprêtez à commander, Guillaume, son fils de 3 ans, fait une crise de colère. Le coupable ? Un iPad déchargé. Carole fouille dans son sac à main et en ressort un téléphone intelligent qu’elle tend à Guillaume. « Sinon, il va rester grognon toute la soirée ! » explique-t-elle. Les écrans sont l’fun pour Guillaume. Ils proposent une panoplie de jeux et de vidéos divertissants et colorés. Pas surprenant que ce soit l’une de ses principales activités de loisir ! Toutefois, des recherches récentes suggèrent un lien entre le temps passé devant les écrans et les difficultés de régulation émotionnelle chez les enfants d’âge préscolaire. Le développement de la régulation émotionnelle constitue un processus graduel et complexe permettant aux individus de s’adapter à leurs émotions. Évidemment, cette compétence ne s’acquiert pas en criant « iPad ». Les jeunes enfants ont besoin de temps et de soutien pour contourner leurs réactions impulsives de sorte à parvenir à se calmer lorsqu’ils ressentent des émotions intenses comme la colère.
L’œuf ou la poule?
Une quantité élevée de temps d’écran pourrait nuire au développement de la régulation émotionnelle. À l’inverse, un enfant au caractère plus difficile serait susceptible de passer davantage de temps devant les écrans. L’œuf ou la poule : le temps d’écran est-il à l’origine des frustrations de Guillaume, ou l’inverse? Afin de répondre à cette question, l’équipe de la professeure Caroline Fitzpatrick a mené une étude auprès de 315 familles canadiennes. Les parents ont rapporté le temps d’écran et le niveau de frustration de leur enfant à 3 ans, puis à nouveau à 4 ans. Les résultats obtenus dans les sondages dénotent en effet un lien entre les écrans et la frustration. Plus les enfants accumulent du temps d’écran à 3 ans, plus leur niveau de frustration est élevé à 4 ans. En revanche, la relation inverse n’a pas été observée : le niveau de frustration à 3 ans ne semble pas lié à la quantité de temps d’écran un an plus tard.
Figure 1. Associations entre le temps d’écran et la frustration. Un temps d’écran plus élevé à 3 ans est associé à un niveau de frustration plus élevé à 4 ans. Le niveau de frustration à 3 ans n’est pas associé au temps d’écran à 4 ans. Figure réalisée avec les images libres de droit disponibles sur Canva.
Comment les écrans font-ils obstacle au développement de la régulation émotionnelle ?
Guillaume est né dans un environnement numérique et interagit avec des écrans presque chaque jour. Les écrans sont donc susceptibles d’influencer son développement, au même titre que ses jouets ou ses interactions sociales. Il est possible que le temps passé avec les écrans, souvent passif et solitaire, réduise les opportunités pour d’autres activités plus socialement stimulantes. Or, la régulation émotionnelle se développe au sein de contextes sociaux riches et nécessite une pratique soutenue. Par exemple, les habiletés de régulation de Guillaume sont fortement sollicitées quand il doit partager ses jouets ou interrompre une activité amusante. Avec l’aide d’un parent soutenant, ces contextes lui permettent de s’exercer à reconnaître et réguler ses émotions difficiles. Ces compétences se révèleront essentielles au moment de commencer l’école, notamment pour interagir avec ses pairs et ses professeurs. Par ailleurs, les enfants qui ne parviennent pas à réguler leur colère ou leur frustration sont plus à risque de développer certaines difficultés émotionnelles plus tard dans la vie, comme de l’anxiété ou de l’agressivité. Si Guillaume passe trois heures de sa journée à regarder des vidéos sur YouTube, soit entre 20 et 30% de son temps d’éveil, combien de temps lui reste-t-il pour les autres activités? Le problème ne se limite donc pas à ce qui se passe quand il regarde sa tablette, mais implique aussi tout ce qui ne se passe pas pendant ce temps précieux…
Nom complet: Marie-Andrée Binet
Courriel: marie-andree.binet@usherbrooke.ca